Ce texte a été écrit dans le cadre du Patentarium, un processus d’expérimentation dans lequel je me suis lancé en 2020. En gros, je crée de courtes fictions sous diverses formes et essaie d’en diffuser une par mois environ. Les expériences, parfois ça réussit… et parfois moins. Je prévoyais produire une version audio du texte qui suit, mais il ne me paraissait pas tout à fait assez solide pour l’enregistrer. J’en explore davantage les raisons dans ce billet. Bien que je ne sois pas pleinement satisfait de cette histoire, je lui trouve tout de même une certaine valeur, alors j’ai choisi d’en partager le texte ici. Vos commentaires sont les bienvenus.
C’est… peut-être Richard qui a été le premier à le dire : que le gars à Patrick, y’était pas comme tout le monde. Pas qu’on en ait jamais rien dit à Patrick. Patrick, y’est comme ça, tu peux jamais rien lui dire. Y’a l’air d’écouter, des fois, mais il finit toujours par faire à sa tête. Au fond, son gars, y’était un peu comme ça aussi, juste… pas de la même manière.
C’est un peu ça l’affaire, avec le gars à Patrick : on a jamais trop su comment l’expliquer. Au village, on le regardait aller, on voyait ben, mais pour ce qui est de mettre des mots sur ce qu’on voyait, c’tait une autre affaire.
Déjà, quand y’était petit, il posait des questions pas possibles : ça, on est touttes d’accord là-dessus. Ça lui suffisait jamais de savoir comment les choses étaient, il fallait qu’il demande pourquoi c’est qu’elles étaient comme elles étaient. Quand la femme à Vincent l’a ramené à’ maison une fois, après qu’elle l’ait vu jouer trop proche d’un chantier de construction, il t’y a demandé pourquoi que personne aimait Vincent à part elle. Elle aurait ben pu lui dire que, elle non plus, mais… anyway, elle l’a pas trouvé drôle, elle.
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Y’était brave, en tout cas, faut y donner ça. Ben, brave ou bedon fou, on était jamais trop sûrs. Des fois ça va ensemble : peut-être que c’tait comme ça pour lui. On comptait pu le nombre de fois que Richard avait dû l’éloigner de son chien – le vieux chien bâtard que Richard s’était trouvé pour surveiller sa cour à scrap. Tout le monde savait pourtant qu’il fallait s’en méfier parce qu’il se rendait fou pis malin à force de tourner autour de son poteau – le chien, ça, pas Richard.
Le gars à Patrick, il devait savoir aussi, mais y’allait voir le chien pareil. C’te jeune-là, c’tait le genre à se baigner dans le lac avant tout le monde, en plongeant tête première au boutte du quai. Y en a qui auraient fait ça pour se faire remarquer, mais lui il faisait ça même quand il pensait que personne regardait.
Quequ’part… ça nous changeait les idées. T’allais à’ taverne, pis Suzie au comptoir à disait « tu sais pas c’que j’ai vu le gars à Patrick faire encore hier soir? », pis ça faisait un sujet de discussion, tsé. C’te gars-là, y était comme un genre de suspense ambulant, tu savais jamais trop ce qui lui arriverait au prochain épisode.
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On se demandait si y’allait s’assagir en grandissant, mais ça s’est pas passé d’même. Il continuait de trouver des manières de se péter la yeule, ou de se mettre dans le trouble, c’est juste que des fois c’était des manières plus songées, ou plus compliquées. Quand y’a faitte sauter la shed à Patrick, paraît qu’y avait de la science derrière ça.
Faut dire que Patrick a toujours été patenteux, pis qu’y’est du genre à bricoler avec, mettons, un peu plus d’enthousiasme que de talent. Pis son gars y’était comme ça, juste… pas tout à faitte de la même manière.
Non, le gars à Patrick, il lisait des affaires, il trouvait ça su’ Internet, j’imagine. Des fois, y’en parlait. Règle générale, y’était farouche, il gardait les mains enfoncées dins poches, il te regardait par en-dessour. Mais une fois la femme à Jimmy a jasé avec, pendant qu’ils attendaient en file à l’épicerie, pis y a commencé à t’y expliquer toutes sortes d’affaires… paraît qu’il parlait de la navette spatiale, pis de comment est-ce que pour aller dans l’espace il faut dépasser une certaine vitesse, pour… pour s’arracher à la gravité, tsé, la femme à Jimmy a pas toutte retenu, mais ça a d’l’air que ça s’appelle la vitesse de libération, ou une affaire de même.
Pas surprenant qu’on ait jamais trop su quoi faire avec. Un grand ado avec les mains dins poches pis la tête dins nuages…
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Pis c’est rien, y avait la musique, aussi. Quand y avait quinze ans, à peu près, y’a pris l’habitude de profaner le garage de son pauvre père à tou’es dimanches. Y’invitait le gars à Thomas, pis une fille de l’autre bord du cimetière, pis ils faisaient de la musique – en tout cas, eux autres avaient l’air de penser que c’tait d’la musique, même si ç’avait de quoi vous faire saigner des oreilles. Le gars à Thomas, on le pensait correct, pourtant, mais quand ils étaient ensemble, ces trois-là, on pouvait pu se fier à rien, on aurait dit.
Une fois, Richard était parti chasser avec sa nouvelle .30-06 pis y’es a vus dans le bois, assis trop proches, direct par terre, en train de ricaner tellement que tu leur voyais toutes les dents. Il est resté assez surpris qu’il a tiré un coup dins airs, il paraît qu’ils ont détalé comme des lièvres…
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Ça, c’était à peu près dans l’temps où le gars à Patrick s’était mis à donner un coup de main dans le garage à Jimmy. Nous autres, ça nous rassurait pas trop de l’imaginer là, avec plein d’outils dangereux à sa disposition, mais Jimmy lui faisait confiance. Il le laissait même conduire le char de sa femme, juste dans’ cour, pour se pratiquer.
Faut dire que le jeune pouvait pas compter sur son père pour lui prêter son char – Patrick pis son char, c’est toute une autre histoire ça. Mais à part pour le char, Patrick était rendu qu’y laissait son gars faire à peu près c’qu’il voulait. Le jeune flânait partout, on le voyait aller avec son sac à dos toujours plein pis il voulait jamais accepter un lift. Il traînait au garage un peu n’importe quand, pis souvent, il rentrait chez lui à pas d’heure. C’était pas surprenant. Patrick était du genre à oublier de tondre sa pelouse, aussi, pis à laisser pousser n’importe quoi. Tu fais ça pis tu t’exposes à des surprises, mettons.
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Ce qui nous a surpris, c’est quand le gars à Patrick a eu son propre char. Parce que c’était pas Patrick qui lui en aurait donné un, pis on pensait pas qu’y’avait l’argent pour s’en acheter un lui-même. Pas que c’était du char de luxe, au contraire… c’était pas juste de l’usagé, c’était du rafistolé, rapiécé, repeinturé au rouleau… Mais il t’avait un sérieux moteur là-dedans. Passé une certaine vitesse, il sortait de là une espèce de plainte, comme une âme damnée… Mettons qu’on l’entendait venir. Pis c’tait aussi ben, parce que le gars à Patrick, il chauffait comme si son char allait tomber en morceaux d’une minute à l’autre. Pis ça arrivait, aussi, on le voyait en panne aussi souvent qu’on le voyait rouler.
Mais l’jeune lâchait pas : il réparait, pis c’tait pas long qu’on le voyait rouler en fou encore. Comme si y avait appris à chauffer rien qu’en regardant des vieux films d’action. Pourtant, on l’avait vu chauffer ben tranquillement dans’ cour du garage, avec le char de la femme à Jimmy, mais au volant de son propre char, c’tait comme si y’était en pleine poursuite, pis que lui-même savait pas si y’était le poursuivi ou bedon le poursuivant. Y traversait le village dans tou’es sens, on aurait dit une guêpe dans une maison, qui trouvait pas comment sortir. Chaque fois qu’on l’apercevait, il roulait un peu plus vite.
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Un soir, quand y avait dix-sept ans, le voisin l’a vu rentrer à’ maison, dans son bolide, pis pour une fois il roulait doucement, presque. Paraît qu’y était poqué pas à peu près – le gars à Patrick, pas le char. Y’est débarqué pis y avait comme le regard creux, la face longue, il marchait comme un décapité. Des fois on disait qu’y roulait partout comme si y cherchait le trouble… peut-être que ce soir-là, il l’avait trouvé. Y en a jamais parlé, en tout cas. Pis après il roulait encore en maniaque, comme d’habitude. En faitte, il roulait un peu comme si y se cherchait partout pis y’arrivait pas à se trouver.
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En fin de compte, c’est Thomas qui a été le dernier à le voir… peut-être trois, quatre mois après. Il était tard, Thomas revenait de veiller chez son frère pis il commençait à cogner des clous, ça fait qu’il s’était arrêté pour sur le bord de la route avant de prendre le fossé. Il s’est réveillé en entendant comme un hurlement, pis y’a vu le gars à Patrick dans son bolide, qui filait en sens inverse. Paraît qu’y’avait toutes les vitres baissées, y’avait les cheveux qui lui fouettaient le front, les dents à découvert, la tête par en avant, pis le regard… le regard plongé drette devant lui, comme si y s’en allait conquérir un autre pays, Thomas s’attendait à moitié à voir une armée suivre par en arrière. Mais non, y avait juste le gars à Patrick, lancé vers la grande route, vers allez-donc-savoir-où, pis dans le temps que ça a pris pour le reconnaître, y’était déjà passé. Pis personne l’a pus jamais revu.
Depuis ce temps-là… c’est plate, mais je pense qu’on est touttes un peu soulagés. Pis un peu déçus, aussi. Mais c’est comme ça, les jeunes partent, plus souvent qu’autrement, allez savoir ce que ça prendrait pour qu’ils restent. Moé, l’image me reste, même si c’est pas moé qui l’a vu : le gars à Patrick au volant de son bolide en pleine nuitte, avec son allure de Jules César, parti pour la gloire… Personne sait jusqu’où il s’est rendu, mais on peut encore en parler, au moins. Ça passe le temps, tsé.