Une première scène du point de vue d’Hubert, l’autre personnage principal du roman:
Seul à la fin de toutes choses, Hubert Saulnier gisait éveillé dans un lit qui n’était pas le sien, dans une chambre sans âme. De fines fissures parcouraient le plafond jauni par d’innombrables cigarettes. Il n’arrivait pas à les quitter des yeux. Tout se détériorait, on n’y échappait pas. Tout s’effritait tôt ou tard, les meilleurs bâtiments comme les meilleures intentions. Non pas que ce motel ait jamais été d’une grande qualité. C’était un triste établissement, quelques chambres minuscules en bordure d’une ville que personne ne visitait à cette heure. Hubert l’avait choisi pour la discrétion, et pour voir le moins de gens possible.
Le sommeil ne viendrait pas. Hubert était seul au milieu de la nuit, dans ce gouffre entre un jour et l’autre où l’on n’arrive plus à se rattraper à rien. La fébrilité de la fuite et le poids du désespoir lui conféraient une terrible lucidité. Il avait tout perdu. Il devait même renoncer à utiliser son nom s’il ne voulait pas qu’on le retrouve. Il n’avait plus personne, plus d’espoir.
Tout perdu, par sa propre faute.
Il se leva, s’habilla, sortit. Il suivit la route en s’éloignant de la ville jusqu’à ce que tout autour soit noirceur et silence. La route était calme et interminable. Le ciel était pourri d’étoiles. En voiture, on se serait senti à l’étroit : il n’y avait pas large de chaque côté entre l’asphalte et les bois. Hubert trouva bientôt un point à mi-virage d’où l’on n’avait pas à voir l’horizon. Devant comme derrière, la route allait en se courbant serré et se perdait derrière les arbres. Il alla s’asseoir sur l’asphalte dans la voie intérieure. Si une voiture arrivait sur sa voie, le conducteur ne l’apercevrait que trop tard, tandis qu’Hubert, lui, verrait sa fin en face.
C’était mieux ici. Pas de murs glauques, pas de plafond fêlé devant ses yeux pour le narguer. La nuit était fraîche mais confortable.
Immobile, résigné, il considéra encore une fois ce qui l’avait mené ici…