Je crois avoir fait un grand pas dans ma compréhension. C’était évident, vraiment. La réincarnation, je veux dire.
J’ai arrêté d’être végétarien. J’ai compris qu’en mangeant les bêtes, l’homme se fait l’instrument du karma. Si un homme renaît cochon, c’est qu’il a dû tuer quelqu’un, ou ben voler la femme de son voisin, ou quelque chose comme ça. S’il renaît en captivité dans une ferme où on va inévitablement l’engraisser et le tuer, ben voilà, c’est son destin: c’est la leçon qu’il doit apprendre pour mériter une meilleure existence dans sa prochaine vie. D’ici là, c’est le karma de ce cochon-là de mourir dans la douleur.
C’est pour ça que maintenant je mange mon bacon sans remords et que je piétine les vers de terre avec la satisfaction du travail bien fait.
Naturellement, ça n’excuse pas la cruauté envers les animaux (sauf les vers de terre, qui doivent vraiment l’avoir mérité). Après tout, il faut laisser à ces pauvres âmes la chance de se racheter.
En tout cas, ça clarifie un peu la question de la consommation. On mange les animaux parce que c’est leur destin, c’est tout.
J’en ai clarifié une autre, de question, tiens. Je suis sorti avec Marlène, la petite blonde qui vient me relever de mes fonctions chaque matin au club vidéo. Ça faisait un bout que ça me démangeait (abstinence forcée oblige) et j’ai réussi à trouver un trou dans nos horaires respectifs. On est allés danser, on a jasé et tout allait bien jusqu’à ce que j’apprenne qu’elle avait un enfant.
Un gars débande vite.
J’étais pas mal saoûl et, sans trop y penser, je lui ai déballé mes théories sur les enfants, les bébés en particulier.
Parce que c’est des drôles de créatures, les bébés. C’est sûr, à la longue, ils sont supposés devenir des membres utiles de la société. J’ai toujours un peu de misère à croire ça. Y a un méchant fossé entre le bébé et son futur moi adulte, tellement qu’on en vient à les voir comme deux êtres différents. Et dans ces cas-là, le bébé n’est rien de plus qu’un autre animal de compagnie. On le garde en captivité, on le nourrit, on lui apprend des tours et on essaie de le dompter pour pas qu’il chie sur le tapis.
Et comme de raison, y a plein de parents qui gèrent leur bébé comme s’il était une fin en soi, sans adulte au bout. Ça leur fait une méchante surprise tôt ou tard…
L’ex en voulait un, de bébé. Je lui ai expliqué patiemment toute ma théorie, en concluant que je préférerais avoir un enfant qui est capable de se traîner tout seul et de dire ce qu’il pense. Ça lui plaisait pas, mais je suis resté ferme: on adopterait un jeune de six-sept ans quand on aurait de l’argent. Comme ça, j’étais safe: mon père a jamais eu d’argent, ma mère a jamais eu d’argent, leurs parents non plus, et leurs grands-parents encore moins. C’est pas moi qui allais changer le refrain.
Drôle d’arrangement, les bébés, donc. Évidemment, quand je lui ai tout expliqué ça, à Marlène, elle l’a pas trouvé drôle. Peut-être parce qu’elle savait que j’ai raison. Quand même, j’ai peur d’y être allé un peu fort. Pour que les gens acceptent les grosses vérités, faut leur donner ça graduellement.
À l’appartement, le poisson m’attendait. C’est triste de sortir avec une fille pour revenir seul à un appartement vide. C’est pire encore quand il y a un poisson pour me narguer.
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