Chaque matin il faut nourrir le poisson rouge. Je me plante devant l’aquarium, le poisson remonte vers ma main qui doit lui paraître gigantesque et planante, je lui donne une pincée et ça lui suffit. J’ai oublié son nom. Pas sûr seulement pourquoi je le tiens en vie. Ça serait pas si pire si je pouvais lui déverser une ou deux tasses de bouffe et l’oublier pendant un mois ou trois. Mais non: l’imbécile en mangerait trop et crèverait d’indigestion.
Il est trois heures de l’après-midi, en fait, mais j’appelle ça le matin quand même. Depuis que je travaille de nuit, je vis en décalage horaire. Pas grave: j’ai longtemps vécu avec des horaires bâtards.
Je m’appelle Victor. J’ai 22 ans. J’habite dans le quartier Rosemont à Montréal, dans un appartement juste un peu trop grand et dispendieux pour moi. Seul avec le poisson.
Si je tiens un journal, c’est pour deux raisons. C’est parce que ça passe le temps à la job, et parce que je me suis donné un but: résoudre la question animale.
Mon ex disait que c’était important d’avoir des buts. Elle le dit encore, sûrement.
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