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Noreascon 4: il n’y a pas que les panels
Lectures – exposition et perdition – d’un party à l’autre – Hugos et tradition
En plus des panels, nous avons droit à des lectures de la part d’une foule d’auteurs intéressants. J’assiste à celle de Cory Doctorow, qui nous présente une histoire intitulée « Anda’s Game » (maintenant disponible sur Salon.com). C’est de la bonne SF qui bouge et qui est fort actuelle: on y parle d’enfants obèses, de sweat shops et de jeux en réseau. Doctorow termine et vend immédiatement son manuscrit aux enchères pour une bonne cause.
Plus tard, je joue de stratégie pour m’assurer une place à la lecture de Neil Gaiman, qui fait salle comble. Nous avons droit au début de son nouveau roman, Anansi Boys (maintenant disponible sur son site web). Il m’épate encore une fois. Ça commence doucement, ce roman, avec un bref survol de la vie d’un certain Fat Charlie où il est surtout question, en fait, de son père. C’est tour à tour touchant et hilarant, tout empreint d’une belle fantaisie.
Entre les lectures et les panels, je trouve un peu de temps pour visiter la salle d’exposition ainsi que la salle de perdition, appelée officiellement the dealers’ room. Dans cette salle format grand gymnase se sont installés une multitude de libraires et de vendeurs de t-shirts. Il y a des livres neufs et usagés, des livres à un dollar pièce et d’autres autographiés par des géants, et qui peuvent aller jusqu’à 500$. C’est l’endroit où dépenser. J’erre entre les tables jonchées de livres et les étagères chargées de livres et les caisses bourrées de livres, je ratisse, je hante les recoins dans l’espoir de trouver des trésors. Je pourrais y monter une tente et y passer des jours. Je finis par y trouver quelques bonnes pièces, notamment un vieux Dangerous Visions à couverture rigide en bon état et à bon prix. Je ne me suis pas tout à fait ruiné.
La salle d’exposition est moins dangereuse. On se promène, on fait des ooh et des aah, mais la tentation d’acheter est moins grande (je ne vais pas rentrer chez moi avec une toile d’un mètre carré qui coûte 3000$ US). L’exposition sert surtout à mettre en valeur les artistes actuels, mais il y a aussi une section rétro que je trouve fascinante. On y trouve des oeuvres qui remontent jusqu’aux années ’50 et qui ont servi de couvertures à des romans parfois bien connus. Là où les oeuvres récentes tendent vers un style réaliste et bien poli, les oeuvres d’il y a trente ou quarante ans montrent beaucoup plus d’audace: toiles plus abstraites ou stylisées, approche symbolique (ou psychédélique) plutôt que bêtement littérale, images divisées en sections. Reviendra-t-on une telle inventivité? J’ose espérer.
C’est un dur travail que d’admirer toutes ces toiles, feuilleter tous ces livres, écouter tous ces auteurs. Heureusement, par les soirs, il y a… des partys. Les hôtels « officiels » du congrès en sont pleins. Chaque jour, un homme fort sympathique du nom de « Filthy Pierre » compile une liste de ces partys: noms et numéros de chambres sur de petites feuilles qui se rangent bien dans une poche. Le soir venu, on part à l’aventure.
Plusieurs de ces partys ont une teneur politique, en quelque sorte. C’est qu’il faut décider où auront lieu les prochaines incarnations de la Worldcon. Ce sont les inscrits qui votent, et ça se décide deux ans à l’avance. Vous voulez recevoir la Worldcon chez vous? Rassemblez un petit groupe de cinglés, appropriez-vous une suite à l’hôtel et vendez votre salade. À Torcon 3 l’an passé, l’équipe de Glasgow servait du scotch pour convaincre les gens de se rendre en Écosse pour la Worldcon de 2005. Cette année, personne n’offre de scotch, mais en passant d’une suite à l’autre, il y a de quoi se faire un souper acceptable.
Outre les congrès futurs, toutes les raisons sont bonnes pour faire un party: une série culte de télévision, une association de fans ou d’auteurs, la sortie d’un film amateur… À mon grand bonheur, je trouve un party inspiré par The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy où on me sert la version locale du fameux Pan Galactic Gargle Blaster. C’est bleu, ça fume et ça décape le gosier. La coutume veut qu’à chaque party on distribue des autocollants que les visiteurs doivent appliquer sur leur badge; collectionnez-les tous… Je n’y passe pas mes soirées entières, mais j’y traîne passablement et y trouve quelques bonnes conversations. C’est amusant de voir à quel point certains partys sont spécialisés. Il y a tant de gens ici que tous les intérêts sont représentés.
C’est que — ça vaut la peine de le répéter — le congrès est énorme. En rédigeant ce rapport, je revis une fois encore l’immensité de la chose. Je pourrais en écrire encore bien plus long sans épuiser le sujet.
La logistique de l’événement ferait à elle seule un sujet d’article fascinant. Les organisateurs doivent gérer une centaine d’invités et des milliers de fans, et être prêts à tout. Le dimanche soir, ce sont tous les adeptes du déguisement qui se rassemblent pour la mascarade. Je n’y vais pas, mais m’en laisse expliquer les particularités. Lors d’un congrès précédent, un participant avait appelé la réception de l’hôtel pour savoir s’il y avait quelque ascenseur de service à grande capacité qu’il pourrait utiliser. « Pas nécessaire, monsieur, » lui dit-on, « nos ascenseurs ordinaires peuvent transporter seize personnes. » « Non, non, vous ne comprenez pas! », dit l’autre; « Mes ailes ont une envergure de dix-huit pieds. »
Le gros événement pour moi n’est pas la mascarade, mais plutôt la cérémonie de remise des Hugos. Ce sont les fans qui votent pour déterminer les lauréats de ces prix qui, avec les Nebulas, sont les prix les plus prestigieux de la science-fiction anglophone. Le maître de cérémonie cette année est Neil Gaiman, auteur de renom qui, deux ans plus tôt, sous la surprise de se voir lui-même décerner un Hugo, avait laissé échapper le genre d’exclamation qu’on censure à la télé. Cette année, il s’en tire bien, somme toute, avec décorum et humour britannique bien pince-sans-rire.
Alors que je regarde défiler des lauréats connus et moins connus, je suis frappé par le profond sentiment de tradition qui se dégage de cet événement. Les Hugos sont toujours remis à la Worldcon (la première fois en 1953). Robert Silverberg, semble-t-il, a été présent à chaque fois. Pendant une quinzaine de minutes, il partage avec nous (une mer de fans dans une salle grande comme un village) ses souvenirs de ces cérémonies passés. On lui voue une écoute quasi religieuse, un grand silence ponctué de rires. La science-fiction n’a jamais été parfaitement acceptée et comprise par le grand public; dans un tel congrès, on sent qu’elle doit sa survie à l’acharnement des fans (les auteurs aussi étant des fans, au fond). Dans un tel congrès, on reconnaît les pionniers et le chemin parcouru, l’étrange acharnement des fans à partager et à faire vivre des univers imaginés. On peut en faire trop, bien sûr, et il est tout aussi vital de regarder de l’avant. À lire et écouter les nouveaux auteurs ici présents, on voit bien qu’il y a de l’avenir.
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