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Noreascon 4: savantes discussions
Nous vivons la SF – écriture et réalité – violence, tragédie, et la mort dans tout ce qu’elle a d’amusant
L’un des principaux attraits d’un tel congrès est de voir en personne des auteurs qu’on apprécie et de les écouter discuter de sujets très pointus, prodiguer des conseils, raconter des anecdotes. Pour rencontre leurs idoles, certains se précipitent aux séances de signatures, ce qui, dans le cas de gros noms comme Pratchett ou Neil Gaiman, donne des files d’attente interminable. Personnellement, je fréquente surtout les tables rondes, ou panels. Quelques points saillants:
La réalité nous rattrape: C’est une idée qui semble de plus en plus présente à l’esprit des auteurs et lecteurs de science-fiction. D’un côté, la SF, longtemps obscure, est de plus en plus adoptée par Hollywood, avec des films comme The Matrix qui génèrent des profits énormes. Le spectateur moyen en vient donc à accepter une variété de concepts SF (réalités virtuelles, nanotechnologie, etc.), mais ce n’est pas une victoire pour autant. Bien des auteurs déplorent la normalisation de la SF dans les médias, sa réduction à des clichés mal expliqués ou explorés. Certains y voient un défi: il faut pousser la SF écrite plus loin et présenter des concepts nouveaux que les gens n’ont pas vus au cinéma.
D’un autre côté, les avances rapides de la science présentent aussi un défi. Comment écrire des histoires situées dans le futur quand ce futur nous tombe dessus de plus en plus vite? Les changements technologiques à venir sont difficiles à anticiper, les changements sociaux encore plus. John Moore mentionne à cet effet une étude selon laquelle le four à micro-ondes serait l’invention la plus favorable à la productivité corporative, puisqu’elle permet aux travailleurs de manger sans sortir du bureau. Robert J. Sawyer préfère situer ses histoires en dedans des cinquante prochaines années, trouvant risqué de prédire plus loin.
Plus tard, j’ai le plaisir de voir sur un même panel Cory Doctorow, Charles Stross et Patrick Nielsen Hayden. Ce dernier est un éditeur bien connu (et blogueur); les deux premiers écrivent de la SF de pointe, dense et dynamique. Tous deux sont de la génération Internet et ça paraît dans leur fiction qui s’inspire des toutes dernières évolutions technologiques. Tous sont là pour parler de gadgets, et on voit qu’ils pourraient s’étendre des heures sur le sujet. Ils parlent de la fonctionnalité qui passe de l’ordinateur personnel au réseau (GMail, etc.), du « Mac triste » affiché quand l’ordinateur plante, de la possible inévitabilité du spam (on ne peut avoir d’écosystème sans parasites). Doctorow enfourche vite son cheval de bataille: la libre circulation de l’information. Il relate un cas intéressant où, lors d’une audience gouvernementale, lui et d’autres activistes ont pu se servir de systèmes de messagerie instantanée pour se concerter en silence et refiler des questions pertinentes au seul d’entre eux à qui on avait permis d’en poser.
L’art d’écrire: Chaque congrès donne lieu à de nombreuses discussions sur la technique littéraire. Dans le panel « Writers’ Tricks and Tips », Yves Meynard rappelle que c’est une erreur pour l’auteur de SFF de ne lire que de la SFF; il appelle ça « les elfes qui cachent la forêt ». Il souligne aussi l’importance d’avoir accès à des lecteurs capables de vraie critique (« You need somebody to tell you why you suck »). Steve Antczak, quand il fait la recherche nécessaire à ses histoires, n’hésite pas à lancer du courriel à n’importe qui pour leur poser des questions; écrire à un New Yorkais choisi au hasard, par exemple, pour lui demander combien coûtent les billets de métro là-bas, ou quel est son restaurant favori. À la sortie d’un panel, James Alan Gardner m’offre une distinction utile entre « plausible » et « convaincant »: l’extrapolation que l’auteur présente n’a pas à être entièrement plausible, en autant qu’elle est présentée de manière convaincante.
La réalité sous toutes ses facettes: Le panel sur les histoires secrètes rejoint plusieurs de mes préoccupations. Les gens se passionnent toujours pour les origines insoupçonnées, les théories de conspiration, les vrais événements occultés par la version officielle des faits. Tout ça s’exploite bien en fiction. Steven Sawicki déplore un peu la jeunesse de l’Amérique qui se prête mal à des histoires secrètes remontant loin en arrière. Alex Irvine résume la fascination de ce type de fiction: elle donne au lecteur un aperçu de ce que c’est d’être au centre des événements qui influencent l’Histoire. Paul Di Filippo mentionne le désir humain de se voir expliquer tous les mystères d’un seul coup. Daniel Hatch renchérit: une bonne théorie de conspiration fait que le monde extérieur — vaste, incompréhensible, soumis au hasard — vient à ressembler à notre monde intérieur, où tout a une signification et fait l’objet d’une forme de narration. L’auditoire plonge dans la discussion: on fait remarquer que les théories de conspiration jouent pour certains le même rôle que la religion, en tant qu’explication totale. Je lance l’idée d’une fiction où l’histoire secrète serait due non pas à une conspiration consciente, mais à de simples accidents et maladresses de la part de gens qui ne saisiraient pas le rôle qu’ils en viennent à jouer. Quelqu’un me fait réaliser que Forrest Gump est un peu comme ça, avec un protagoniste présent malgré lui à des points-clés de l’Histoire.
Il est ensuite question de réalités alternatives avec un panel sur les « technological cusp points », ces points déterminants dans l’évolution de la technologie. On y explore comment les nouvelles technologies (le vol, l’imprimerie) n’apparaissent pas toujours dès qu’elles sont possibles, mais peuvent être retardées parce que le besoin n’est pas là, ou parce que les dirigeants refusent le progrès. Certaines inventions créent des problèmes, d’autres en révèlent: on ne connaissait pas le cancer jusqu’à ce que l’avènement de la pénicilline nous permette de vivre assez vieux pour en être atteints.
Médias et politique: Un panel sur le futur des médias d’actualités s’avère riche en constatations déprimantes: de plus en plus, on ne voit qu’un journal par ville; on approche d’une société où l’accès aux informations dépend de l’accès à la technologie; les lecteurs de nouvelles deviennent des célébrités et sont l’objet de cultes de personnalité; les médias consacrent de moins en moins d’effort au vrai journalisme d’enquête; les journaux et réseaux de télé étant de plus en plus biaisés, il devient de plus en plus facile à M. Tout-le-monde de n’écouter que des nouvelles et opinions qui lui conviennent et d’ignorer ce qui pourrait le faire changer d’idée. Je trouve rassurant d’entendre ces inquiétudes de la bouche d’Américains, moi qui déplore l’attitude de plus en plus bornée des États-Unis. Ce sera un des thèmes récurrent de mon séjour, en fait: il y a encore des Américains sensés, et on en trouve beaucoup à Boston.
Sombres sujets: Je trouve un peu décevant le panel sur l’utilisation de la violence en SFF, composé d’une curieuse combinaison de participants. Le plus marquant (et mieux qualifié) est Joe Haldeman, un vétéran de la SF et de la guerre du Vietnam qui, contrairement aux jeunes auteures à ses côtés, sait ce que c’est que de tuer un homme. Il mentionne comment la violence émotionnelle est plus difficile à écrire que la simple violence physique, et comment certains lecteurs abandonneront vite un livre trop violent. Katya Reimann fait quand même valoir que la violence en début d’histoire permet tout de suite d’établir les enjeux. On discute de films d’horreurs (la série des Evil Dead et son héros Ash), du nouveau film de Mel Gibson sur la passion du Christ, et quelqu’un propose tout de suite le film du siècle: Freddy vs. Jason vs. Ash vs. Christ.
Il n’est pas question que je manque le panel « How Stories End », moi qui ai souvent de la difficulté à trouver une fin satisfaisante à mes histoires. La discussion prend vite une tournure si déprimante que ç’en est comique par moments. William Tenn explique qu’il s’est spécialisé dans les fins pessimistes puisque la condition humaine est naturellement tragique. Même le fait que sa femme ait choisi de l’épouser était une tragédie en soi, puisqu’elle a abandonné l’écriture une fois mariée alors qu’elle aussi écrivait auparavant.
La grande finale: Le panel suivant, mon dernier du congrès, me permet de terminer sur une très bonne note. C’est un peu la rencontre des titans: Neil Gaiman, Larry Niven, Terry Pratchett, Uncle River et Connie Willis, « modérés » par Scott Edelman. Ils doivent discuter de personnages morts (vampires, zombis, héros découvrant la vie après la mort, etc.; le panel s’intitule « How Do You Know When You’re Dead? »). Gaiman apprécie comment un personnage mort, en faisant intrusion dans le monde des vivants, apporte un regard extérieur à l’histoire (on en trouve un excellent exemple dans son American Gods). Quelqu’un nous révèle qu’il existe en Inde une association des morts-vivants formée de gens ayant été déclarés légalement décédés malgré eux. La conversation dérive vite sur la mort des auteurs. Niven explique que les producteurs de films n’aiment pas les auteurs vivants, comme en témoignent les nombreux romans de Philip K. Dick adaptés pour le cinéma après sa mort. Les autres panélistes commencent tout de suite à planifier la mort de Niven pour qu’il puisse avoir des films lui aussi. Pour Willis, la mort n’a pas que des avantages: si elle nous réunit avec nos êtres chers, elle risque aussi de nous réunir avec les gens qui nous tapaient sur les nerfs. Les aventures dans l’au-delà font quand même un excellent sujet de fiction, puisque personne ne peut dire à l’auteur qu’il a fait un portrait inexact de la vie après la mort.
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