© Éric Gauthier 2012
Il sera une fois… la trentième année des Dimanches du conte.
L’ouverture de la saison ressemblera à peu près à ce que vous vivez ce soir. Il y aura de la bière. On contera des histoires traditionnelles et des histoires flambant neuves. La poule à madame Moreau sera encore malade.
Ce n’est pas Francis Désilets qui animera; il sera parti en tournée mondiale à ce moment-là. Ça ne sera pas Jean-Marc Massie, qui n’aura pas organisé la soirée, non plus. On ne peut pas vraiment s’attendre à ce que personne occupe la même place pendant trente ans d’affilée. Il y en a qui le font, mais… Jean-Marc, il sera passé à autre chose. Il faut dire que, rendu là, André Lemelin, le co-fondateur des Dimanches du conte, aura mis sur pied un nouveau projet visant à envoyer des conteurs là où jamais conteur n’est encore allé. On pourra le constater à la fin de la soirée. L’avant-dernier conteur terminera son histoire, un écran descendra du plafond et on pourra y voir… Jean-Marc Massie racontant sa dernière création, retransmis en direct de la Station spatiale internationale. Le premier conteur dans l’espace, mesdames et messieurs!
L’animateur, ce soir-là, sera l’un d’entre vous. Pas nécessairement quelqu’un qui est ici ce soir, mais quelqu’un qui, au cours de cette nouvelle saison, aura vécu ici sa première soirée de contes. Le conte, c’est contagieux comme ça; soyez prévenus.
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Il sera, une autre fois, la quarante-cinquième saison des Dimanches du conte.
Rendu là, les Dimanches seront partout. Au moment où je vous parle, il y en a déjà une succursale en Belgique et une en Suisse. L’ouverture de la quarante-cinquième saison au Québec coïncidera avec la vingtième saison à Dakar et la grande première à Tokyo. Oui, les Dimanches du conte vont conquérir le monde… et le Japon.
La soirée montréalaise n’aura pas lieu au Cabaret du Roy, mais plutôt dans le nouveau restaurant de la série. Il y a eu l’Auberge du Dragon rouge mettant en scène le Moyen-âge, le Cabaret du Roy célébrant la Nouvelle-France (et la piraterie), il y aura le Bistro 67 où l’on revivra la Révolution tranquille dans un décor inspiré de l’Expo 67.
Ce soir-là, ça ne coûtera rien pour entrer. Rendu là, nous aurons la gratuité scolaire; nous aurons reconnu comment une bonne éducation aide les gens à mieux contribuer à la société. Et comme le conte est une forme d’éducation, on aura mis des mesures en place pour que les soirées de contes soient gratuites pour tous.
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Il sera, une autre fois encore, la cent cinquantième saison des Dimanches du conte. Rendu là, on aura inventé de nouvelles manières de conter: des histoires à fins multiples, des contes remixés comme on ne saurait encore imaginer. Le spectacle sera retransmis sur Internet — enfin, ce que l’Internet sera devenu — et sera écouté par des êtres en tous genres: des humains dans leur salon, d’autres s’étant retirés du monde physique pour évoluer plutôt dans des environnements virtuels. Des intelligences artificielles, aussi, capables d’écouter une histoire et d’en imaginer simultanément toutes les variations possibles.
Le Québec sera toujours une terre d’accueil. Une des conteuses de la soirée sera une immigrante de deuxième génération d’origine extraterrestre, qui contera par deux bouches en même temps et qui aura appris à sacrer contre la température aussi bien que n’importe quel autre Québécois.
On entendra des histoires nouvelles mais aussi des contes traditionnels: l’histoire de ti-Jean au carré rouge contre gros-Jean le frisé, la légende des 99%. À travers les contes traditionnels, on se souviendra d’une époque où la société était moins juste: une époque où une petite élite contrôlait la majeure partie de la richesse, une époque où notre peuple n’était pas maître chez lui, une époque où des politiciens conservateurs essayaient de bâillonner la science et de faire entrave à nos libertés. Ça sera important de se souvenir parce que, même rendu là, il y aura encore des gens qui voudront nous faire reculer et il faudra se rappeler comment lutter.
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Y aura-t-il réellement plus d’un siècle de Dimanches du conte? Je ne peux pas vraiment prédire; je peux juste souhaiter. Je souhaite qu’on raconte encore longtemps, le dimanche et le reste de la semaine. Dans des soirées comme ça, on apprend à rêver, on apprend à écouter.
Ces jours-ci, nous en avons besoin, plus que jamais. Nous avons besoin de nous écouter les uns les autres pour rêver ensemble à de meilleures manières de gérer notre société. Nous avons besoin d’écouter les candidats qui, ces jours-ci, nous racontent toutes sortes d’histoires. Écoutez bien et vous saurez peut-être si c’est avec leur coeur qu’ils parlent: vous venez ici, vous savez comment ça sonne. Écoutez pour savoir si eux ont l’air prêts à vous écouter ou s’ils écouteront seulement ceux qui ont les moyens de se faire entendre.
Mardi, si vous le voulez bien, nous partirons, chacun de son côté; chacun écrira son souhait sur un petit bout de papier, le pliera, le mettra dans une boîte, et nous pourrons espérer ensemble que les choses changeront pour le mieux.
(Vous pouvez aussi lire le texte que j’avais composé pour le cinquième anniversaire.)
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